• Les Badlands

     

    Le site qui présente la course : https://www.transiberica.cc/badlands/#1602364671818-2-10

    Le tracé réellement effectué durant les vacances de la Toussaint en 11 jours :

    De tous les voyages à vélo que j'ai pus faire, les Badlands a été le plus difficile physiquement et psychologiquement.

    Le terrain, le dénivelé, le soleil, le froid, la neige, le vent, la pollution, le timing ont tous été un adversaire à un  moment donné avec lequel il a fallu lutter. Ce parcours met à rude épreuve notre corps et notre mental. 

    J'avais téléchargé les traces officielles 2020 et 2021 : le parcours rouge et le parcours bleu (sur mon logiciel de navigation). J'ai donc alterné entre les deux traces avec, plusieurs fois, des changements complets de chemin.

    Pourquoi changer ? Parce que humainement parlant, il est impossible d'enchaîner autant de dénivelé en une seule journée ! 

    Le découpage que j'avais prévu a été presque impossible à tenir. Dès le premier jour, j'avais 30 km de retard sur l'étape 1. J'ai pu rattraper mon retard à l'étape 4 avec un rythme soutenu chaque jour, en restant au plus proche de l'une ou l'autre des deux traces. J'étais heureux ce jour là, content d'avoir pu atteindre le village de Gor tout en faisant la boucle complète dans le désert de Gorafe, lieu extraordinaire qu'il ne faut absolument pas louper.

    J'ai commencé à me dire que tout était possible. J'avais 11 jours pour faire les 750 kms et les quelques 17000 m de dénivelé. J'étais de nouveau dans le bon timing.

    Mais c'était sans compter sur un élément que je n'avais pas pris en compte : le vent !

    Jusqu'à présent, j'avais eu des températures clémentes et un  beau ciel bleu. La météo ne m'inquiétait pas vraiment. Après tout, j'étais en Andalousie, une région où il fait beau pratiquement 350 jours par an et c'était le mois d'octobre, pas vraiment de risque à cette latitude.

    Après avoir quitté Gor, j'ai suivi la trace rouge qui passait par un village. Je faisais ça depuis le début. Croiser des bourgades me permettait de me ravitailler en eau et nourriture de façon à pédaler léger, sans surcharger mon vélo. Cette fois-ci, ça a été une erreur. A un moment, la trace a quitté la piste pour suivre  un chemin qui est rapidement devenu un vrai bourbier. J'ai mis environ 2h30 pour faire 10 km...Interminable...

    Le soir, après une journée harassante et un dénivelé qui défiait l'entendement pour un être humain normal, je suis arrivé à Calar del Alto, un sommet à 2168m et une zone dédiée à l'observation astronomique. Je décidais de passer la nuit dans ce lieu qui se prêtait bien au bivouac avec une vue imprenable sur le désert des Tabernas.

    Mais le vent s'est invité... Le froid, jusque là supportable, est devenu glacial. La force des bourrasques n'a fait que s'intensifier durant la nuit. Dormir n'était plus la priorité, de toute façon c'était impossible vu les rafales, l'important était que la tente tienne bon. Le matin, j'étais exténué. Je suis parti à l'aube. C'était ma première nuit blanche. 

    Le lendemain, j'ai traversé le désert des Tabernas qui a été plus exigeant que celui de Gorafe : des chemins plus étroits, des passages assez raides...Bref, il ne fallait pas tomber ! 

    A Tabernas, j'ai fait mon vrai premier changement d'itinéraire. J'avais le choix entre la Sierra Alha Milla et environ 900m de dénivelé ou une voie verte qui contournait la chaine de montagne et qui me ramenait sur le parcours après un détour d'une dizaine de km et une descente de 25km dans un paysage pittoresque. La décision a été assez simple à prendre. Je suis là pour voyager à vélo, pas pour faire une course mutante d'ultrabikepacking !

    Cette étape a été le fruit d'une longue réflexion sur "le choix" lors de mon retour. Quand on voyage à vélo, on est souvent, si ce n'est tout le temps, amener à faire des choix sur le chemin à prendre, de s'arrêter ou pas en fonction de la météo, sur le lieu propice au bivouac, sur la qualité de l'eau qu'on veut prélever, l'intérêt d'un détour, le ravitaillement, avec des conséquences positives ou négatives mais surtout immédiates : la sanction tombe directement ! Ca été le cas ici.

    Lors de la descente, j'ai croisé un lieu de bivouac parfait : des tables en bois, un terrain plat, une source d'eau, et abrité du vent de surcroit. Après une nuit blanche, la veille, j'aurais dû me poser là pour bien me ressourcer et me reposer. Au lieu de ça, je n'avais qu'une idée en tête, c'était d'avancer afin de gagner des kms et des kms pour être dans le bon timing, ce foutu timing de retour. Avoir une date butoir est l'antithèse du voyage à vélo, qui, lui, se veut hors du temps et des contraintes. 

    J'ai donc continué en direction de La Isleta del Moro et le parc naturel Cabo de Gata...Quelle monumentale erreur ! Une fois sortie de la voie verte, j'ai retrouvé un vent de tous les diables. Un  vent qui nous ralentit, un vent qui fait voler notre volonté en éclat, un vent qui nous saborde le moral, qui nous malmène...J'avais l'impression de tirer une remorque de 100kg, de pédaler dans de la boue...Je n'avançais plus...Aucun répit...La nuit commençait à tomber...Je n'arriverais pas à finir l'étape du jour. Je commençais déjà à regretter le petit coin de paradis providentiel que j'avais croisé une heure auparavant. Il me fallait donc trouver une solution de repli et faire de nouveau un choix : quitter l'itinéraire était obligatoire, je n'avais plus à boire. Je devais reprendre la route et le bitume. 

    Je l'ai dit précédemment : les conséquences sont soient négatives, soient positives et la sanction est immédiate. 

    J'ai rarement vécu une nuit aussi pénible. Je me suis retrouvé au milieu de nulle part, la nuit était noire sans lune, mon éclairage vélo déchargé, ma power bank déchargée, mon tel déchargé et plus de GPS et toujours ce fichu vent qui me ballotait dans tous les sens. Pédaler était devenu très dangereux car je faisais des écarts impromptus sur la route avec les voitures qui  me frôlaient dangereusement. J'ai donc poussé jusqu'à croiser le hameau de Rodalquilar. Par chance, un restaurant était encore ouvert. J'ai pu me restaurer et faire le point sur la situation : l'important était de trouver un bivouac pour dormir. Quand les évènements s'enchaînent et que la situation semble nous échapper, il faut se poser et faire le point, prioriser les étapes. Les décisions prises dans l'urgence ne sont pas souvent les bonnes. Ca paraît assez logique et simple mais difficile à faire le moment venu.

    Ce soir là, j'ai posé la tente entre une cabane en bois et un mur de jardin pour essayer de m'abriter le mieux possible du vent qui ne faisait que se renforcer. La nuit a été identique à la précédente : dormir était impossible. 

    Au petit matin, en plus de la fatigue, une autre surprise m'attendait. La roue avant de mon vélo était à plat. La série continuait...

    J'avais pris la mauvaise décision...Une leçon de plus que le voyage à vélo m'aura appris : suivre son intuition, elle ne se trompe que très rarement.

    Le matin, j'en étais à deux nuits blanches. La fatigue et le vent commençaient à avoir raison de ma volonté et de ma motivation. Je commençais à me demander qu'est-ce que je faisais là ? Pourquoi tant d'efforts ? J'en avais marre et ces rafales de vent m'usaient littéralement...

    J'ai donc quitté la trace du parcours afin d'éviter la côte sauvage du parc Cabo de Gata en passant plus dans les terres pour m'abriter de cette tempête de vent qui sévissait maintenant depuis deux jours. En Andalousie, les solutions de repli sont nombreuses tant le nombre de pistes est élevé.

    Après le terrain difficile, le dénivelé, le vent, le timing, ce nouveau détour allait me donner une grosse claque à laquelle je ne m'attendais pas. J'avais entendu parler de la mer de plastique, cette étendue de serre dédiée à l'agriculture intensive afin de fournir l'Europe en fruits et légumes. Mais, il faut le voir pour le croire : 35 000 hectares de serres coincées entre mer et montagnes ! Je me suis retrouvé à pédaler au milieu de ce dédale de plastique. J'avais l'impression de me retrouver en Inde : une pollution omniprésente, des déchets partout et la pauvreté...Une pauvreté que je pouvais toucher du doigt et ressentir. Des habitats de fortune comparables à des bidonvilles, dans lesquels vivait une population émigrée noire africaine,  émergeaient ici et là dans ce décor misérable qui contrastait avec tout ce que j'avais pu voir jusqu'à présent. Les noirs ne travaillaient plus dans les champs de coton comme au XIXe siècle. Ils étaient maintenant enfermés dans des bulles de plastique à longueur de journée à ramasser des fruits et légumes plein de pesticides. Européens et africains se croisaient quotidiennement et ce tableau semblait normal à tout le monde. 

    L'Histoire ne nous a-t-elle rien appris ? Quelle est la devise de l'Europe déjà ? Unies dans la diversité...Des mots, toujours des mots plein de bienveillance qui n'ont plus vraiment de sens car au final, la réalité est bien différente et triste...J'en étais bouleversé...

    J'ai donc continué mon chemin jusqu'à Alméria par le bord de mer : inintéressant, pollué, choquant... Si c'était à refaire, j'aurais modifié mon tracé  à la sortie du désert des Tabernas afin d'éviter la partie Sud de l'Andalousie. 

    A  Alméria, j'ai fait le bilan. Il me restait deux chaines de montagnes à traverser : la Sierra de Gador et la Sierra Contraviesa avec des dénivelés quotidiens qui défieraient l'entendement si je voulais arriver à Grenade dans les temps. J'ai donc modifié le trajet en passant dans la vallée de l'Andarax afin de rejoindre la Sierra Nevada. Je n'aimais pas me rabattre sur l'option route bitumée mais je n'avais pas le choix. Ce qui était rassurant en Andalousie, c'est que, d'une part, les routes n'étaient pas tellement fréquentées, le trafic était assez léger, et, d'autre part, les automobilistes sont habitués aux cyclistes et très respectueux des distances de sécurité. Je n'ai pas le souvenir d'un véhicule, camions compris, qui n'ait pas fait un vrai écart sur le côté quand il me croisait.

    Après deux jours, je suis arrivé à Trevelez, porte d'entrée de la Sierra Nevada et qui allait me ramener à Grenade. Le timing me semblait bon : on était mardi, j'avais deux jours pour franchir la chaine de montagne avec un col à 3200m. Je ferais ça en deux étapes. Mais, encore une fois, c'était sans compter une tempête de neige le mercredi avec des pointes de vent à plus de 100 km/h. Le temps en Andalousie contraste fortement en fonction de la localisation. La veille dans la vallée, je pédalais avec des températures avoisinant les 35° et un soleil de plomb et le jour d'après je me retrouvais bloquer à cause d'un épisode neigeux de forte intensité. Le départ a donc été annulé et reporté au jeudi matin. Ce qui ne m'arrangeait guère. Atteindre et franchir le col puis rejoindre Grenade en une seule étape me semblait un peu ambitieux mais je n'avais plus le choix à cause de ce fichu timing !

    Le mercredi, par curiosité, j'ai fait une randonnée pour me rendre compte des conditions météorologiques sur les crêtes au-dessus de Trevelez. J'ai rapidement compris que pédaler aurait été impossible voire même dangereux pour ma propre survie. Le vent n'avait jamais soufflé aussi fort depuis quatre jours et l'altitude faisant, les températures étaient glaciales. 

    Je commençais à appréhender cette dernière étape...

    Le jeudi matin, réveil à 6h, départ à 7h. Je voulais avoir un peu de marge afin de rallier les 84 km qui me séparaient de Grenade et surtout les 2158m de dénivelé positif qui me fallait gravir sur 43 km afin d'atteindre le col de Veleta.

    Le matin, le temps était au rendez-vous : un beau soleil et un vent qui n'était plus qu'un mauvais souvenir.

    Mais les choses ne pouvaient durer ainsi. Les cumulo-nimbus ont commencé à fleurir dans ce ciel bleu azur avant de s'accrocher pour la journée sur les hauts sommets environnants. Le soleil a disparu, la température a chuté et la neige a fait son entrée ! La nature me montrait sa panoplie de possible : la chaleur, le soleil, le vent, le froid, la neige...Le ballet des éléments !

    L'ascension a été extrêmement physique et longue...très longue. La température sur mon compteur ne faisait que baisser...3°, 1.4°, 0°...A ce moment là, il m'est arrivé une chose à laquelle je n'avais pas pensé : l'eau dans le tuyau de ma poche d'hydratation a gelé, impossible de boire...S'hydrater devenait maintenant une opération qui me demandait du temps. Mes doigts étaient gelés et j'avais perdu beaucoup en dextérité...

    -2°, -4°, -6°, -8°...Le froid s'accentuait. J'avais prévu des vêtements chauds mais pas pour des températures qui frôlaient les -10°. Mes mains souffraient de la morsure du froid. Lutter contre cet élément me faisait consommer beaucoup d'énergie, énergie que je perdais pour pédaler. Le temps passait, les heures défilaient et le crépuscule commençait à pointer le  bout de son nez et je n'étais pas encore au sommet. J'ai arrêté de pédaler au 3/4 de la montée. Le sol rocheux et instable, couvert la plupart du temps d'une couche de verglas, et ma vigilance qui n'était plus là, rendaient la conduite dangereuse. Je marchais, à côté de mon vélo, d'un pas fébrile en me répétant qu'il ne fallait pas que je m'arrête, qu'il fallait marcher, marcher encore pour ne pas se refroidir, pour ne pas s'assoupir et risquer une hypothermie qui n'était plus hypothétique mais bien réelle. 

    J'avais surestimé mes capacités et sous-estimé les conditions météorologiques que je pouvais rencontrer dans cette chaine de montagne qu'était la Sierra Nevada. Faire cette ascension en deux étapes était vraiment le choix le plus sage. Risquer sa vie ou rater un avion ? La question ne se pose pas.

    Je suis arrivé au col exténué et le pneu avant de mon vélo à plat, encore une fois. Le brouillard était à trancher au couteau et le sol, cette fois-ci, recouvert d'une vraie couche de neige.

    Il m'a fallu puiser en moi mes dernières forces pour regonfler ce pneu qui jouait avec mes nerfs depuis 5 jours. La descente vers Grenade s'est faite par la route, je n'avais plus l'énergie de suivre la trace du parcours. J'avais juste envie d'arriver à l'auberge pour prendre une douche chaude, un bon repas et  profiter d'une bonne nuit de sommeil.

    Ce parcours en Andalousie, qui n'a duré finalement que onze jours, a été un condensé d'émotions fortes !

    Onze jours sur papier mais l'équivalent du double ressenti sur le parcours ! C'est la magie du voyage à vélo, le temps se distant et finit par disparaître pour ne laisser place qu'à l'instant, le moment présent...

    Des moments de joie, d'émerveillement devant cette nature sauvage et hostile, des moments où le mot liberté prend tout son sens, des moments de découragement, des moments de doutes profonds suivi d'un élan de vie qui nous pousse à nous remettre en selle et avancer, encore et toujours, tellement ce mode de vie simple et itinérant correspond à notre véritable nature intérieure...

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