• Partie 1 : De Graz (Autriche) à Oberwald (Suisse)

    Cette traversée des Alpes dans son intégralité, en empruntant principalement des pistes, je l'avais tentée en 2022, en partant de Vienne, mais elle s'est soldée par un échec au bout de 500km. Des problèmes de dos qui m'ont contraint à  arrêter.

    Un échec qui m'a travaillé pendant des mois...

    Quand on s'investit autant dans un projet, quand on donne de son temps, de sa personne, qu'on y croit et qu'on ne vit pratiquement rien que pour ça pendant un an, renoncer devient une chose extrêmement difficile. 

    Depuis je n'avais qu'une idée en tête : A quand le prochain départ :) ?

    Dès octobre, j'ai recommencé à m'entrainer, jour après jour, semaine après semaine, je ne lachais rien. J'ai modifié le parcours afin de partir de Graz et non de Vienne. J'ai même changé le vélo et de configuration de portage. Je voulais du nouveau à tous les niveaux, que cette aventure soit l'aboutissement d'un rêve que j'ai mis en forme à la seule force de ma volonté et l'oubli de la tentative ratée de 2022.

    L'échec, le renoncement n'était pas envisageable cette fois-ci.

    C'était devenu une doctrine : aucune autre issue que la réussite.

    Je suis donc parti dans cet état d'esprit, en juillet 2023, de Graz, en Autriche.

    Je m'étais dit que j'allais commencer doucement pour me mettre dans le rythme et qu'une fois dans les montagnes, j'adapterais les étapes en fonction de mes capacités physiques et de la fatigue cumulée. 

    Pfff de la théorie tout ça ! 

    C'est vrai qu'il faut un minimum de préparation quand on part à vélo ; anticiper participe à minimiser les situations inconfortables. Mais en vrai, dans la réalité, en chemin, rien ne se passe jamais comme prévu ! Je devrais commencer à l'intégrer après toutes ces années de voyage à vélo.

    Tout d'abord, je n'ai pas fait la traversée intégrale de l'Arc Alpin en une fois, comme je l'avais prévue !

    Par conséquent, j'ai mis du temps avant de commencer à écrire cet article car je n'arrivais pas à mettre une pensée et des mots clairs et précis sur cette aventure, encore avortée après presque 1 000 km parcourus. C'était très confus dans mon esprit.

    Ce périple, du moins cette première partie jusqu'à Oberwald, après le Furka Pass, en Suisse, a été le plus difficile qu'il m'ait été donné de faire.

    Certes, les paysages étaient grandioses et la trace passait parfois par des endroits si reculés et pittoresques que j'avais l'impression d'être seul au monde. Quelques randonneurs ici et là et des vaches ! Beaucoup de vaches !

    Mais cela avait un prix à payer et ma détermination a été mise à rude épreuve par une météo très capricieuse, changeante et souvent excécrable : de la pluie, encore de la pluie, des orages fréquents et même de la neige ! Sans compter le vent et le froid qui s'étaient invités. Ca aurait été moins drôle dans le cas contraire, car rien de tel que de pédaler face au vent pour forger le caractère !

    Vraiment, je n'ai jamais roulé avec un temps pareil. C'est usant car rien ne sèche vraiment, le soleil ayant fait pâle figure durant une grande partie de la traversée.

    Le trajet, quant à lui, était à la hauteur de l'aventure. De belles pistes, de très belles pistes, de magnifiques singles sur des descentes vertigineuses mais surtout des "hike and bike" qui pourraient intégrer la catégorie "mutant" !

    En effet, certaines sections pour arriver aux diffférents cols traversés, entre trois et quatre kilomètres, demandaient de pousser/porter le vélo sur un sol et un dénivelé parfois très difficiles, surtout un, le "paso di neves", moins de  2km, extrêmement rude, au point que j'ai dû décharger les sacoches et faire deux voyages.

    Ce qui m'amène à un nouveau constat : j'ai changé de vélo mais surtout de configuration de portage sans l'avoir expérimentée avant.

    Quelle erreur de débutant ! Le vélo était beaucoup trop lourd et le chargement chronophage. Le principal du poids était concentré sur l'arrière, ce qui fait que je trouvais difficile les moments de portage ou de poussage. 

    J'avais déjà eu un trek 1120 dans le passé avec ce système de rack et j'en avais gardé un bon souvenir mais, à l'époque, je débutais dans le bikepacking et depuis ma pratique a évolué et cet aménagement des sacoches sur rack ne me convient plus du tout. Cependant, il était trop tard et je devais faire avec !

    J'ai donc fait avec et les kilomètres et les cols se sont enchainés au rythme des coups de pédale, de marche et de portage.

    Je n'avais qu'une idée en tête : avancer, peu importe la météo ! Avancer pour réussir car l'échec n'était pas une option.

    Finies les bonnes résolutions de départ : une fois en montagne, adapter les étapes en fonction de mes capacités physiques et de la fatigue cumulée.

    J'enchainais les cols, jusqu'à deux par jour et, parfois, 2000m de dénivelé.

    Qu'on se le dise, je ne fais pas de l'ultrabikepacking et dépassé 1500m de D+ par jour, chargé, commence vraiment à m'entamer.

    Je commençais donc à ne plus écouter les signes que m'envoyait mon corps...

    Le point de non retour s'est produit après avoir passé l'Oberalpass, en Suisse.

    Il ne faisait pas beau et la météo s'annonçait mauvaise pour le reste de la journée. Tout être humain, non enorgueilli par la réussite de cette traversée, aurait stoppé ce jour là afin de se reposer et continuer le lendemain sous des cieux plus cléments

    Mais, à 13h, j'avais passé le premier col et je voulais avancer. Je n'avais pas envie de m'arrêter si tôt. Encore une belle erreur...

    La montée au col a été terrible : difficulté physique, fatigue, faim, froid cinglant à 2500m, pluie continue, brume.

    J'aurais pu arrêter et faire demi-tour, mais non ! Quand on est têtu, on l'est jusqu'au bout !

    J'ai donc mis beaucoup trop de temps et le passage du col s'est fait presque à la nuit. J'étais crevé, déshydraté, trempé jusqu'aux os et transi de froid. La descente jusqu'à Oberwald m'a paru sans fin.

    Une fois le lieu de bivouac trouvé, la tente montée et les afffaires chaudes enfilées, j'ai mangé, mangé et encore mangé...Beaucoup trop en une seule fois par rapport aux efforts fournis durant la journée ! Et bien évidemment pas assez bu ! 

    Mon corps n'a sûrement pas aimé car à 2h de matin, je me suis réveillé malade comme un chien, la totale et je passe les détails. Je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit...! J'ai pensé à deux hypothèses : soit je n'ai pas été assez précautionneux sur la qualité de l'eau prelevée, soit l'effort et la fatigue cumulés durant cette journée de dingue, la déshydratation et le froid ont provoqué ce désagrément. 

    Le lendemain matin, j'étais l'ombre de moi-même. Je suis allé aux urgences de Martigny en train et j'ai décidé d'arrêter là l'aventure. J'étais arrivé au bout de ce que je pouvais faire, je dirais même que j'ai dépassé les limites de ce que je m'étais fixées, en me mettant en danger sur la fin...

    En rentrant, je me suis senti vide intérieurement...Le périple s'était arrêté...Je n'étais pas allé au bout...Encore une fois...

    J'ai longtemps essayé de me convaincre que j'avais pris la bonne décision mais sans y croire réellement. Je n'arrivais pas à mettre des mots sur cette aventure, vécue pour ma part comme un nouvel échec, alors que mes proches me disaient le contraire.

    J'ai alors laissé du temps passé afin de digérer...Je réfléchissais...Puis, à l'occasion du festival de la montagne 2023, j'ai vu un documentaire sur l'aventure de 4 alpinistes qui ont vécu, à leur échelle, un échec dans leur première tentative d'ascension d'une nouvelle voie d'alpinisme du Nuptse, au Népal.

    A ce moment là, en entendant leur témoignage, tout m'a paru évident. 

    En définitive, cette traversée était vouée à l'échec, dès le départ, et je dirais même bien avant. La motivation et l'envie de faire ce périple n'étaient nourries que par le besoin de réussite, seul cet élément comptait. L'exploit avant tout...

    J'avais oublié l'essentiel, l'âme de toute aventure à vélo, ce qui m'a toujours porté et poussé : le plaisir de pédaler, juste pédaler, loin de tout, en se laissant bercer par la nature, ses paysages, les découvertes et les rencontres qui nous attendent...C'est le moteur de tout voyage à vélo !

    L'inconnu et ses aléas ont,  en ce sens, quelque chose de magique, et nous ramène à un certain émerveillement, trop souvent éteint dans nos vies sédentaires 

    Et au final, peu importe qu'on arrive au bout de l'aventure, seul le chemin parcouru compte, chemin qui nous oblige à abandonner certaines de nos croyances et à revoir notre façon d'envisager dans la vie les réussites et les échecs, deux choses qui sont porteuses de leçons quoi qu'il arrive...